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Deux types d'intelligence visuelle


Selon Kozhevnikov (2010), il paraît clair qu’il existe deux formes ou composantes d’intelligence distincte, une intelligence visuelle qui s’attache à traiter l’information selon les apparences, les propriétés de l’objet, la texture, la couleur, la taille et une intelligence spatiale plus centrée sur la position et les relations de l’objet dans l’espace, capable de manipuler en pensée l’objet dans son environnement.

La manière de produire, d’inspecter, de transformer et de manipuler des images différerait sensiblement selon les individus et selon leur forme d’intelligence. Et il ne serait pas possible d’expliquer ces variations qualitatives par un niveau d’intelligence générale ou facteur G.

Selon Kozhevnikov, l’intelligence visuelle de l’objet ou la capacité de traiter toutes les propriétés picturales concrètes d’un objet a été longtemps négligée, alors qu’elle constitue bien une dimension particulière de l’intelligence visuelle.

A l’inverse, la composante visuo-spatiale a été bien prise en compte et ce, depuis longtemps, et on la retrouve dans toutes les échelles d’évaluation de l’intelligence (Stanford-Binet Intelligence Scale, Wechsler Intelligence Scales). Les tests de capacités spatiales ont souvent été utilisés pour prédire la réussite des élèves dans le domaine des mathématiques par exemple, et un nombre important de domaines techniques (McGee, 1979, pour une revue).

Une capacité visuo-spatiale, pensée comme globale
Dès les années 80, la recherche a eu à cœur à montrer les différences individuelles de traitement dans l’espace et les capacités d’imagerie visuo-spatiale, dans des tâches de rotation mentale de l’objet (Carpenter, Just, Keller, Eddy, et Thulborn, 1999) ou à propos de problèmes mécaniques, de physique et d'ingénierie (Hegarty &Juste, 1989; Kozhevnikov, Motes, & Hegarty, 2007). Ces études ont suggéré que ces différences avaient un lien avec les ressources cognitives disponibles au sein de l’administrateur central de la mémoire de travail (Miyake, Friedman, Shah, Rettinger,& Hegarty, 2001).

La capacité de se représenter en pensée des images colorées , vivantes des objets et des scènes observées, mesurée notamment par le questionnaire de Marks (Visual Imagery Questionnaire, 1973), n’a pas été comprise comme une compétence séparée à part entière mais seulement comme un aspect d’une capacité visuo-spatiale globale, et ce malgré le fait que la plupart des instruments d’évaluation des styles cognitifs ne trouvent pas de corrélations significatives avec l’habilité dans les tâches spatiales (McKelvie, 1995, pour une revue).

Depuis les années 1990, on sait qu’il existe deux voies cérébrales anatomiquement distincte : la voie ventrale, occipito-temporale, qui traite les objets selon leur aspect picturaux, couleur, texture, taille et la voie dorsale, occipito-pariétale qui traite les objets selon leur relation dans l’espace, mouvement, transformation complexe. Cette distinction, le fait qu’il existe des zones différentes d’activation cérébrale selon qu’on traite l’aspect pictural ou les relations spatiales d’un objet, s’étend à l’imagerie mentale et à la mémoire de travail ((Farah, Hammond, Levine, et Calvanio,1988; Kosslyn, 1994; Kosslyn & Koenig, 1992; Levine, Warach,& Farah, 1985; Mazard, Tzourio-Mazoyer, Crivello, Mazoyer, et Mellet, 2004).

Selon Logie, il existe des données en faveur d’une division du calepin visuo-spatial de la mémoire de travail en deux composantes, visuelle et spatiale, soutenue par l’organisation fonctionnelle du cerveau des voies ventrale et dorsale (Logie, 2003; Logie et Marchetti, 1991).

Des images mentales de nature différente
Selon Kozhevnikov, Hegarty et Mayer (2002), il est clair que la dimension visualiseur-verbaliseur n’est pas une construction unitaire. Elle implique bien deux types de visualiseurs, générant des images mentales, qualitativement différentes, traitant l’information soit de manière spatiale et schématique, soit de manière visuelle et iconique. Leur hypothèse est cohérente avec la recherche en neuroscience qui suppose que la capacité d’imagerie n’est pas générale mais repose sur des fonctions cognitives, des composantes visuelles et spatiales indépendantes (Baddeley, 1992; Farah, Hammond, Levine, et Calvanio, 1988; Kosslyn, 1994; Logie, 1995).


Kozhevnikov et ses collègues (2002) postulent que cette capacité de traiter les objets de façon purement visuelle ou purement spatiale renvoie à des différences individuelles. Dans une situation donnée, certaines personnes (le type iconique) auront tendance à construire des images vivantes, fortes en détail, tandis que d’autres (le type spatial) auront recours à des images représentant les relations spatiales entre les objets, ce qui leur permettra d’imaginer facilement toutes les transformations possibles, mouvements, rotations de l’objet.

Dans Revising the Visualizer–verbalizer dimension: evidence for two types of visualizers (2002), Kozhevnikov, Hergaty et Mayer s’appuient sur trois études, afin de montrer la validité de leur théorie. Dans la première étude, comprenant 60 sujets, les auteurs ont examiné les capacités verbales et visuelles puis proposé un questionnaire afin de séparer les sujets selon leur style cognitif. Dans la seconde étude, les chercheurs ont comparé la façon dont les deux types de visualiseur ont interprété et résolu des problèmes de cinématique, impliquant des graphiques. Dans la troisième étude enfin, ils ont comparé les performances des visualiseurs et verbaliseurs.

Les résultats de cette dernière étude confirment, selon les auteurs, que la distinction entre les deux types de visualiseurs, ceux avec faibles capacités spatiales et ceux avec hautes capacités spatiales, est dû à un style cognitif visuel particulier, spatial ou iconique et non à d'autres facteurs tels que le contenu du problème mathématique, l'intelligence générale ou l'utilisation de stratégies métacognitives.

Preuve de cette assertion : les verbaliseurs correspondent en tout point aux visualiseurs sauf en ce qui concerne leur tendance à recourir à des images vivantes : pour autant ils ont en moyenne un niveau similaire de capacités spatiales, de connaissances dans le domaine de la physique et subissent la même contrainte concernant l’interdiction d’utiliser des stratégies mathématiques pour résoudre les problèmes présentés.

Les résultats montrent que les verbaliseurs, quelle que soient leur capacité spatiale, qu’elles s’avèrent faibles ou hautes, ne montrent aucune préférence entre une stratégie d’imagerie iconique ou spatiale. Certains d'entre eux interprètent les graphiques de façon visuelle et d’autre de façon schématique. En revanche, les visualiseurs avec faible capacité spatiale ont une préférence marquée pour l'imagerie visuelle, iconique et les visualiseurs avec hautes capacités spatiales une préférence marquée pour l'imagerie spatiale schématique.

Style artiste versus style scientifique
En 2005, Kozhevnikov et al. (2005)  identifient deux types d'individus en fonction de leurs capacités d'imagerie: 1.les individus avec des hautes capacités d’imageries picturales, appelés visualiseurs d’objet et les individus à hautes capacités visuo-spatiales, appelés visualiseurs spatiaux. Les auteurs ont comparé au cours de différentes tâches (procédure de pliage de papier, images dégradée à compléter) les capacités visuelles et spatiales des membres de professions artistiques (peintres, photographes, décorateurs d’intérieur) et scientifiques (ingénieurs, physiciens). Conformément à leur attente, les scientifiques ont montré de hautes capacités d’imagerie visuo-spatiales, de faible performance de visualisation de l’objet et une préférence pour les stratégies spatiales (schématiques). Les professions artistiques ont montré à l’inverse de hautes capacités de visualisation d’objet et de faibles capacités visuo-spatiales ainsi qu’une préférence pour les stratégies visuelles concrètes (picturales).

Un traitement cognitif moins coûteux
En 2008, Motes, Malach et Kozhevnikov ont mené une étude originale. Ils ont observé grâce à des techniques d’imagerie fonctionnelles (IRMf) les zones d’activations cérébrales d’individus, identifiés comme hauts visualiseurs d’objets (9 participants) ou hauts visualiseurs spatiaux (8 participants), au cours d’une tâche de présentation de dessins, détection de traits particuliers, remémoration.

La plupart des études antérieures sur les différences individuelles dans le traitement visuel ont porté sur les capacités visuo-spatiales, résolution de problèmes, rotation d’objets, mémorisation spatiale. Ces travaux ont émis l’hypothèse que la capacité de générer et transformer des objets en relation avec l’espace était liée aux capacités limitées de la mémoire de travail et aux ressources d’attention allouée par l’administrateur central (Miyake et al., 2001, Kozhevnikov, 2007).

Enfin les études sur les fondements neuronaux des capacités visuo-spatiales ont révélé une relation inverse entre fortes capacités et activation de la zone neuronale concernée, laissant supposer que plus le sujet est à l’aise dans la tâche moins il a besoin d’allouer de ressources cognitives, ce qui expliquerait une activation neuronale plus faible dans la zone allouée au traitement visuo-spatiale chez les sujets les plus performants dans ce domaine (Vitouch et al., 1997, Reichle et al., 2000).

De même que les sujets, possédant de hautes capacités visuo-spatiales, ont une utilisation plus efficace des ressources dans la voie dorsale, Motes, Malach et Kozhevnikov s’attendaient à ce que les sujets à hautes capacités visuelles de l’objet montre une activation plus faible dans la voie ventrale, signant également une bonne répartition de leur ressources. Et c’est en effet ce qu’ils ont pu démontrer (2008).

Un nouvel instrument pour mesurer le style visuel et le style spatial
Cherchant à répondre au manque de corrélation entre style visuel et capacités visuo-spatiales Blazhenkova et and Kozhevnikov (2009) ont proposé un nouvel instrument, le Object-Spatial Imagery and Verbal Questionnaire (OSIVQ).

Ce nouveau questionnaire est fondé par un modèle à trois dimensions. Il établit une distinction entre : 1.ceux qui préfèrent traiter l’information au moyen d’images vivantes, concrètes et détaillées ; 2. ceux qui utiliseront des schémas pour se représenter les relations spatiales entre les objets et des transformations complexes ; et 3. ceux qui préfèrent utiliser les stratégies verbales et analytiques pour résoudre des tâches cognitives.

Suite à la mise au point de l’OSIVQ, un nouvel instrument, un questionnaire destiné aux enfants et adolescents de 8 à 17 ans, le the Children's Object–Spatial Imagery and Verbal Questionnaire 
(C-OSIVQ), est mis au point (Blazhenkova, Kozhevnikov, Becker, 2011).

Fondé sur la version adulte, le COSIVQ comprend également trois dimensions, visuelle, spatiale et verbale et a été validé sur un échantillon constitué de 267 enfants et 83 étudiants. Selon eux, une fiabilité interne élevée a pu être démontrée, ainsi qu’une bonne validité prédictive et écologique chez les enfants comme chez les adultes. Les auteurs ont testé leur instrument auprès d’un éventail large, des sujets allant de de 8 à 60 ans, ce qui leur a permis d’observer que le développement d'un style de cognitive ressemble étroitement à la trajectoire de développement des capacités. Plus progressif, il agirait simplement plus en douceur.


Le traitement visuo-spatial en mémoire de travail
On retrouve dans le modèle d’Alan Baddeley de mémoire de travail une pareille distinction entre mode de traitement visuel et mode de traitement spatial.

Selon Baddeley (1986), la mémoire de travail se divise en trois composantes : 1. la boucle phonologique qui se charge des informations verbales lues ou entendues ; 2. le calepin visuo-spatial pour les informations purement picturales ou de relation dans l’espace ; 3. l’administrateur central, très lié aux processus d’attention, qui n’est autre qu’un mécanisme de contrôle et de coordination des deux sous-systèmes (boucle phonologique et calepin visuo-spatiale). Il intègre les informations émanant des deux sous-systèmes et les met en relation avec les informations stockées en mémoire à long terme.

En 2000, Baddeley a ajouté une quatrième composante à son modèle, le buffer épisodique. Mémoire-tampon, le buffer permet le stockage temporaire et limité d'informations multimodales. Il permet d’intégrer au sein d'une représentation épisodique les informations en provenance de la boucle phonologique, du calepin visuo-spatial et de la mémoire à long terme. Le buffer serait impliqué dans la conscience que nous avons de nous-mêmes, du monde qui nous entoure, et des événements vécus dans la passé.

Pour Baddeley, le calepin visuo-spatial comporte également deux sous-composantes, la composante visuelle traite toutes les caractéristiques importantes de l’objet, couleur, forme, matière ; la composante spatiale uniquement les informations concernant sa localisation.

Pour argumenter ce fait, Baddeley se base sur des études consacrées notamment à la mémorisation des images. On sait que les mots pouvant être facilement imagés sont mieux retenus que les mots plus abstraits. Si on demande à un sujet de mémoriser des objets sur un bateau en commençant par l’avant, puis de restituer les objets appris en cachant le bateau, le temps de réponse est proportionnel à la distance de l’objet. Plus il se situe à l’arrière, plus le temps de latence est long. On parle de mémoire analogique, soulignant une ressemblance entre l’objet réel et la représentation stockée en mémoire. Pour certains auteurs, la représentation mentale comporterait les mêmes propriétés topographiques que l’objet.

L’utilisation du paradigme de la double tache (Baddeley et Lieberman, 1980; Logie, 1995) est également fréquemment citée pour conforter l’hypothèse d’un calepin divisée en fonction visuelle et spatiale. Si le calepin comporte réellement une composante visuelle alors toute tâche secondaire de même nature devrait perturber son fonctionnement. De même si le calepin comporte une composante spatiale, une tâche secondaire spatiale devrait aussi le troubler.

Ainsi Baddeley et Lieberman (1980) ont pu constater que les tâches spatiales (le suivi d'une lumière, les yeux bandés avec un feedback seulement auditif) interfèrent davantage avec d'autres tâches spatiales qu’avec des tâches purement visuelles (discriminer la luminosité de deux feux). Logie (1985) a montré que les tâches visuelles sont affaiblies par l'affichage d’images pertinentes, mais pas par des mouvements de bras, alors que les tâches spatiales sont altérées par des mouvements de bras, mais pas par des images pertinentes.


Les données en neuro-imagerie en faveur d’une dissociation visuelle et spatiale
Plusieurs travaux et données en neuro-imagerie ces dernières années sont venus confirmer
L’hypothèse d’une dissociation du traitement des informations visuelles et spatiales. Déjà
Ungerleider et Mishkin (1982) ont montré que les singes avec des lésions du cortex pariétal sont gravement altérés dans les tâches nécessitant d'évaluer les relations spatiales d'un objet, mais non dans les tâches de discrimination visuelle entre les différentes formes, les motifs et les objets. A l’inverse, les singes avec des lésions dans le cortex temporal inférieur montrent des déficits dans l’apprentissage de discrimination d’objets selon leur aspect visuel, mais non dans les tâches spatiales.
Levine, Warach, et Farah (1985) ont démontré que suite à des lésions cérébrales dans le
cortex temporal, les patients étaient très perturbés dans les tâches centrées sur les aspects visuels
des images, mais exécutaient sans problème des tests d'imagerie spatiale (voir également Farah et al., 1988). Les dommages de la zone pariétale, quant à eux, entraînent des troubles des compétences d’imagerie dans l’espace, comme la rotation mentale ou d'apprentissage de labyrinthe. En conclusion, les auteurs affirment que c’est une erreur d’utiliser un seul terme, l’imagerie, pour désigner en vérité deux types de représentations.

De nombreux travaux en neuro-imagerie continuent de montrer des schémas d’activité cérébrale différents pour les tâches spatiales et visuelles (Jonides & Smith, 1997; Kosslyn & Koenig, 1992, chap. 3; Smith et al., 1995).

Ainsi si on demande à des sujets de visualiser mentalement un itinéraire, qu’ils ont mémorisés auparavant, on note une activité dans les lobes pariétaux. En revanche, s’ils imaginent des visages et des couleurs, une activation substantielle est visible dans le lobe temporal (Uhl, Goldenberg, Lang, et Lindinger, 1990).

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